J’interroge souvent mes collègues thérapeutes ou coachs sur ce qui les animent et donne du sens à leurs accompagnements. Certains disent que c’est d’accompagner chacun « vers sa juste place », d’autres que c’est de permettre à leurs clients de « quitter l’anxiété pour plus de sérénité » ou encore de « dépasser leur passé traumatique ».…je me reconnais bien dans tous ces objectifs mais ce qui fait ma « couleur » ou la « note » propre est différent. Je me défini plutôt comme la thérapeute et coach de « l’élan vital ».
J’ai réfléchi, lu, mais aussi vécu dans mon corps au plus profond de mon être ce qu’est l’élan vital. Comment il se nourrit du contact sensoriel avec le monde, sur mon vélo ou dans la nature, mais aussi comment je le nourris de l’intérieur, par mes rêves, mes méditations et ma vie émotionnelle. J’observe aussi quand cet élan faiblit, quand il se ternit dans les épreuves extérieures ou dans mes combats intérieurs. Je suis à l’affut, dans la conscience, de ce qui me donne et de ce qui m’enlève de l’énergie. De ce fait, mon intention avec mes clients, est de leur permettre de trouver ou de retrouver l’élan de vie qui se niche au creux de leur être. Même au plus profond de la dépression, du burn out, du deuil…il y a la vie qui est là et qui cherche à se frayer un chemin.
C’est Henri Bergson (1859-1941) qui m’inspire car il a fait de cette notion un concept à part entière*. Dans son livre « l’évolution créatrice » qu’il publie en 1907, il fait l’hypothèse d’un élan vital primitif pour expliquer que les espèces vivantes ne cessent de se modifier, comme poussée par une force première, « imprévisible », « déroutante », « créatrice ». L’élan vital permet de comprendre la continuité de l’évolution mais aussi le mouvement créatif qui rend cette évolution si surprenante. En chacun de nous se trouve la trace de cet élan vital et s’y reconnecter intérieurement permet d’embrasser le mouvement du monde. L’élan jaillit en soi, dans toute sa fougue et son instabilité. Il est mouvement, pensée, émotion, sensations. L’élan vital, c’est quand « ma vie » s’ajuste avec « la vie », quand mes impulsions sont en fait celles de la vie même en moi.
Freud parle de « pulsion de vie », à la fois mouvement intime vers la vie et pulsion qui permet la survie de l’espèce. Mais c’est Fanita English – psychanalyste et Analyste Transactionnelle (1916-2022) – qui pour moi décrit le mieux ce mouvement et qui propose une façon singulière et opératoire de penser la « clinique de l’élan vital ». Dans son article sur les motivateurs inconscients* elle décrit trois forces, qu’elle représente de façon créative comme trois déesses dans le ciel de l’Olympe : Survia (la survie individuelle), Passia (la survie de l’espèce et l’inventivité, la créativité) et Transcia (la transcendance, la connexion et la quiétude). Même si elle n’utilise jamais le terme, chacune porte une partie de l’élan vital et quand l’une de ces dimensions manque ou est insuffisamment développée, il existe un déséquilibre.
J’ai beaucoup d’exemples de clients qui, en burn out, étaient concentrés sur Survia et parvenaient à survivre mais sans aucun élan, tout juste une petite flamme à nourrir et à faire grandir. Ou d’autres, perdus dans Transcia, qui ne parvenaient pas à incarner le mouvement dans leur vie, restant insatisfaits de ne pas réaliser leurs rêves. Je parlerais de mes accompagnement comme de la recherche commune de l’art d’équilibrer ces composantes de l’élan vital en soi. Ma plus grande satisfaction est de sentir en moi-même ou d’observer mes clients sentir, que c’est la vie dans toutes ses dimensions qui pulse en nous. Tel est le chemin joyeux et ensoleillé, parfois désertique et pentu aussi, que j’empreinte chaque jour et que je propose à mes clients d’empreinter.
*BERGSON Henri, l’évolution créatrice, éd. Frédéric Worms, Puf, coll Quadrige, 2013 *ENGLISH Fanita, unconscious drives reimaged, TAJ Vol. 38 N°3-2008.